L’Église Saint-Martin de Moings

Un clocher remarquable

À quelques kilomètres au nord-est de la ville de Jonzac en Charente-Maritime, Moings, un village de 200 habitants environ, possède une église de taille modeste dont l’étonnant clocher surprend le visiteur tant il se détache de l’ensemble de l’édifice. Chaque face de celui-ci comporte deux fenêtres, chacune étant ornée de colonnettes. Massif et élégant tout à la fois, ce clocher est inattendu. Non seulement, il ne ressemble à aucun clocher des églises alentours, mais il paraît étranger à sa propre église. Quel contraste en effet entre cette église charmante et le clocher qui la coiffe, imposant par son volume autant que par son originalité !

Datant du XIIe siècle, celui-ci de même que la coupole qu’il surmonte sont postérieurs à la nef qui existait quant à elle au XIe siècle. Selon Jean Glenisson et Marc Seguin (1986 : 557) : « Il n’est pas interdit de supposer que le chœur, le clocher, l’abside furent édifiés lorsque l’église passa des mains des abbés de Saint-Étienne de Baignes à celles des prieurs de Saint- Vivien de Saintes, largement possessionnés dans le sud de la Saintonge ».

Là est forcément une des clés permettant de comprendre l’inspiration différente qui a présidé à la construction de chacune des parties de cet édifice religieux ainsi que l’ambition dont ce clocher est probablement la marque. Sur le site http://chapiteaux.free.fr/TXT_MOINGS.html, on peut lire le texte d’un connaisseur des églises saintongeaises,  Charles Connouë (1961), dans lequel ce dernier fait la liste du nombre d’ouvertures (12 dont 4 dans les angles abattus), de colonnes (60) et de cintres (36) que le clocher donne à voir et s’étonne qu’une église possédant de tels atouts soit si peu connue. Pourtant, les portes grandes ouvertes de ce si joli lieu invitent à une visite dont les surprises ne s’arrêtent pas à l’originalité architecturale du clocher. Loin s’en faut !

1953 : d'étonnantes découvertes !

Dans la très intéressante contribution rédigée par les historiens Jean Glenisson et Marc Seguin, il est fait mention des marches que l’on emprunte pour entrer dans cet édifice dont le niveau du sol – à l’intérieur – est plus bas que ne l’est la partie extérieure. Rédigé en 1986, le texte explique que si l’on remontait le temps 35 ans en arrière, on constaterait que ces marches n’existaient pas à l’époque. C’est en effet en 1953 que des travaux ont été entrepris dans cette église et dont une partie d’entre eux a consisté à déblayer la terre stockée sur le sol.

Or, non seulement, « le creusement du sol mit au jour les bases des colonnes » (Glenisson, Seguin, 1986 : 559-560) mais les travaux ont aussi permis de faire apparaître « une belle litre avec des armoiries assez bien conservées, parfaitement identifiables et datant des XVIIe et XVIIIe siècles » (ibid. : 560).

Mais les travaux ont aussi permis de mettre au jour des graffitis couchés sur deux murs – nord et sud – se faisant face, « sur une bande rectangulaire, longue de 4,27 m, large de 1,30 m et dont la base s’étend à 0,35 m au-dessus du sol » (ibid.). Protégés par une vitre et éclairés par une lumière qui révèle leurs détails, les graffitis racontent des scènes de guerre, la face dessinée au nord paraissant être l’esquisse de celle figurant au sud et qui se caractérise par une grande cohérence graphique et thématique.

Des graffitis qui s'inscrivent dans le répertoire iconographique de l'époque

Comment ne pas être admiratif de ce que, pendant des siècles, aucun visiteur de l’église Saint-Martin de Moings n’a imaginé que, sous le badigeon déposé sur les murs, des dessins avaient été tracés. Les hypothèses que présentent Jean Glisson et Marc Seguin au sujet de leur auteur sont fondées sur la mise en correspondance des contenus et caractéristiques des gravures avec l’histoire de l’édifice et celle de la Région. Selon ces historiens, l’existence des graffitis de cette église est aussi à corréler avec le répertoire iconographique de l’époque au cours de laquelle ils ont été tracés et à laquelle se réfère aussi la tapisserie de Bayeux qui narre, pour sa part, la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie en 1066, Guillaume le Conquérant.

Comme c’est le cas dans la tapisserie de Bayeux, les cavaliers ou les soldats  de Moings (qui sont au nombre de 28) sont coiffés de casques coniques. Ils portent des armures et de volumineux boucliers en forme d’amande qui dissimulent leur corps. Ils sont par ailleurs munis de très longues lances qui, parfois, touchent le sol. Certains se dirigent vers un château fort au murailles crénelées et aux lourdes portes, de toute évidence pour l’attaquer. D’autres le défendent depuis les murailles ou à ses abords.

Pour Jean Glisson et Marc Seguin (1986 : 564-565) : « Du point de vue de l’étude de l’armement, le personnage le plus remarquable de l’ensemble des graffiti est incontestablement le grand cavalier du mur sud. L’auteur a particulièrement soigné les détails. Du heaume, on distingue le nasal. L’armature du bouclier est elle-même apparente. On sait que l’écu était recouvert d’un cuir bouilli tendu sur une armature de bois. Les éléments de cette armature, les rivets de métal étaient souvent soulignés par des traits de peinture. Les stries qu’on discerne sur la surface du bouclier semblent bien marquer les détails de ce montage. La pièce d’armement la plus intéressante est néanmoins la lance. Celle-ci est munie à son extrémité d’un gonfanon à trois fanons, analogue à celui qui se voit sur le premier sceau (1135) de Raoul de Vermandois, à ceux aussi qui sont fixés aux lances des guerriers de la broderie de Bayeux.

L'auteur : un apprenti de l'équipe des constructeurs ?

Le dessinateur a pris soin de marquer par deux traits parallèles l’épaisseur de la hampe et le fer en « feuille de saule » qui la prolonge. Il s’agit donc du type qui se répand universellement en Europe vers 1140 ». Pour les historiens, ces graffitis dateraient donc du XIIe siècle et seraient contemporains de la construction du clocher (1120-1150). L’explication avancée serait qu’un « membre de l’équipe des constructeurs » (Glenisson, Seguin, 1986 : 570), probablement un apprenti, aurait tracé ces dessins en s’inspirant des thématiques iconographiques de l’époque « qu’il s’agisse du paon, des cavaliers au combat, de la scène guerrière et de l’héraldique naissante » (ibid.). A l’appui de cette version, la maladresse de certains traits, d’un côté, mais de l’autre, l’intégration maîtrisée du support sur lequel la gravure est déposée. Ainsi certaines anfractuosités du mur sont-elles parties prenantes de la création, montrant la capacité de leur auteur à sculpter des surfaces diverses.

Références

Connoué Ch., 1961, Les églises de Saintonge. Livre V, Jonzac et ses environs

 

Glenisson J., Seguin M., 1986, « Les graffiti de l’église de Moings (Charente-Maritime), Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 3, pp. 555-571. Accès : https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1986_num_130_3_14423

 

Connouë Ch. (texte), Deliquet A. (photographies), « L’église romane de Moings en Saintonge », Accès : http://chapiteaux.free.fr/TXT_MOINGS.html

2 réflexions sur “L’Église Saint-Martin de Moings”

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