Le baptistère paléochrétien de chez Pérot au Douhet (17)

La source de Grand-Font, qui se trouve sur la commune du Douhet, fournissait en eau un aqueduc gallo-romain alimentant les thermes de Saintes (Mediolanum Santonum), situées à une quinzaine de kilomètres de celui-ci. À proximité de cette source et d’ailleurs alimenté par elle, un baptistère taillé dans la roche – et qui pourrait dater du IIIe siècle – a été découvert par une équipe conduite par l’archéologue Jean-Louis Hillairet en 2011.

Les vestiges se trouvent aujourd’hui dans une zone boisée facile d’accès bien que non signalée. Leur visite permet de relire l’itinéraire d’un site devenu au XIXe siècle un lavoir avant d’être délaissé au siècle suivant.

Ce baptistère méconnu mérite grandement le détour, évidemment pour ce qu’il nous dit des premiers chrétiens, mais aussi pour comprendre les motifs qui l’ont vu tomber dans l’oubli avant d’en être exhumé grâce aux intuitions d’un archéologue expérimenté.

Un baptistère paléochrétien

Les premiers chrétiens se faisaient baptiser en s’immergeant partiellement ou non dans des bassins d’eau froide ou baptistères. Le plus ancien actuellement connu a été découvert sur le site archéologique de Doura Europos, à l’extrême est de la Syrie. Il date de la moitié du IIIe siècle. Pour la France, hormis le baptistère de Saint-Jean de Poitiers qui a été construit en 360, les édifices ont été plutôt construits à partir du Ve siècle, au cours d’une période charnière qui marque le début du Moyen-Âge et la fin de l’Empire romain d’Occident (476). Par exemple, le baptistère de la cathédrale Saint-Léonce de Fréjus dans le Var ou celui de Riez dans les Alpes de Haute-Provence ont été construits au Ve siècle. Le premier fait partie de la cathédrale tandis que le second, aujourd’hui isolé, était intégré dans un ensemble épiscopal qui a été détruit au XVe siècle.

Le baptistère.

Le Baptistère de la cathédrale de Fréjus

Le baptistère de Riez
Le baptistère de Saint-Jean de Poitiers

Baptistère Saint-Jean de Poitiers | Romanesque, House styles, Mansions

Comme le signale Jean-Louis Hillairet dans un article paru dans le quotidien régional Sud-Ouest (05/12/2011), le baptistère du Douhet occupe un emplacement inhabituel : il est « perdu au fin fond des bois, à quelques centaines de mètres d’un lieu-dit appelé Chez Pérot, et non adossé à une cathédrale comme de coutume ». La raison invoquée par le chercheur serait la nécessité pour les premiers chrétiens de cette région de pratiquer leur foi dans un lieu discret. Car si au IIIe siècle, des chrétiens pouvaient se faire baptiser sans craindre pour leur sécurité, ce n’était pas le cas dans la ville de Saintes où ils ont dû attendre le Ve siècle pour cela.

D’un lieu cultuel à un site utilitaire

Comme indiqué dans un autre article de ce blog, les lavoirs se généralisent dans les campagnes au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, à proximité de points d’eau. En lien avec un mouvement hygiéniste, laver le linge et les corps est une préoccupation qu’accompagnent les pouvoirs publics, et qui est soumise à une stricte réglementation. La transformation de ce site en un lavoir a forcément tenu compte de cette exigence tout en utilisant, pour des raisons évidemment pratiques, ce qui existait déjà mais avait cessé d’être utilisé, le baptême se faisant désormais dans l’enceinte des églises. Cela explique que le bassin est plus profond (1,10 mètre) que ne l’est celui des lavoirs spécialement créés pour cet usage.

Situé à proximité d’un aqueduc, le lavoir bénéficie donc d’une situation privilégiée quand bien même est-il éloigné du village (plus d’un km). En effet, les étroites tranchés longeant les parois témoignent d’un astucieux agencement permettant d’utiliser une eau abondante et de qualité.

À l’instar des particularités du lieu, les graffitis présents sur les murs témoignent de son occupation en deux périodes distinctes. Pour la première, les gravures attestent d’un usage chrétien du site, les symboles étant représentatifs de pratiques partagées. Pour la seconde, ce sont des graffitis présents aux abords et sur les murs protégeant l’aqueduc qui témoignent de la socialité de cet espace, pas seulement celle en usage chez les femmes. En effet, les lavoirs étaient des lieux de rencontres et d’échanges, les femmes – souvent accompagnées de leurs enfants – s’y rendaient en groupe à des moments particuliers de l’année. De plus, on peut penser que l’éloignement des habitations nécessitait une entraide pour acheminer le linge ; ce qui avait pour propriété de renforcer le groupe.

Mais on peut penser aussi que ce lieu étant situé à distance des habitats, il était possible de s’y retrouver en toute tranquillité, et de prendre par exemple du temps pour s’exercer à la gravure. Peu d’inscriptions précisent une date mais pour celles qui le font, la plus ancienne est 1897, la plus récente étant 1910. Plusieurs gravures font plusieurs centimètres, et sont profondément inscrites dans la pierre. D’autres sont plus discrètes telles des lettres, des initiales, un prénom…

Contrairement aux gravures paléochrétiennes qui traduisent un engagement à travers des signes faisant sens pour un collectif, les thématiques de la fin du XIXe ou du début du XXe siècles évoquent des caractères individuels dont la date du passage d’un individu dans ce lieu ou son identité. Ils sont conformes à ceux des graffitis que l’on voit en de nombreux autres endroits. 

Quant à leur localisation, les gravures paléochrétiennes sont situées dans l’ère du bassin, celles récentes le sont dans la zone environnant l’aqueduc, à moins que la mousse déposée sur les murs ne masque des traces qui viendraient contredire cette répartition (voir la photographie suivante). 

Concrètement, chaque catégorie de graffitis se répartit de part et d’autre de la porte que franchissaient les sujets juste baptisés avant de sortir du baptistère en empruntant l’escalier situé à côté de la porte séparant le baptistère de l’aqueduc.

La photographie est prise depuis l'espace de la source

Ainsi, au-delà de ses missions, un lieu est-il aussi ce qu’en font ses visiteurs. Chargé de spiritualité au IIIe siècle, il offrait aux chrétiens un espace leur permettant de profiter d’une eau alors parée de vertus bienfaitrices. Aux XIXe et XXe siècles, en revanche, il remplissait une fonction utilitaire et distractive tout à fois, l’eau étant source de santé personnelle et publique.

La découverte du baptistère

C’est approximativement au milieu des années 1950 que les lavoirs cessent d’être utilisés. Ceci à la faveur de l’évolution des équipements collectifs et individuels qui permettent, dans un premier temps, l’acheminement de l’eau dans les foyers, et, dans un second, le lavage du linge à domicile. Abandonnés un temps, ils font désormais l’objet d’une politique de rénovation et font partie du patrimoine.

D’une certaine façon, la découverte du baptistère du Douhet s’inscrit dans ce mouvement. En 2011, à l’occasion de travaux sur l’aqueduc situé à proximité, une équipe de chercheurs et de bénévoles décide justement de nettoyer le lavoir. Jean-Louis Hillairet le raconte dans l’article de Sud-Ouest (05/12/2011). « Voilà quelques mois, nous avons eu pour mission de dégager des regards de l’aqueduc antique qui passe à proximité. Un jour où nous étions nombreux, on a eu l’idée de nettoyer cet ancien lavoir creusé dans la roche calcaire ». Plusieurs indices conduisent l’archéologue à imaginer que ce lieu n’avait pas seulement été un lavoir : « Le premier signe est alors apparu avec un chrisme dessiné sur une pierre. Ce symbole chrétien est constitué par les deux lettres X (chi) et P (rhô) encadrées par les lettres alpha et oméga »

Des graffitis de poissons sont également identifiés : ils étaient utilisés comme éléments de reconnaissance dans une période où les chrétiens devaient rester discrets.

À ceci s’ajoute l’agencement particulier de l’édifice dont trois éléments sont particulièrement significatifs. Un premier déjà mentionné est que son bassin est trop profond pour avoir été pensé pour n’être qu’un lavoir.

Un autre consiste dans le fait que les encoches indiquant l’emplacement d’une porte prouvent que le lieu était fermé, contrairement à un lavoir dont l’espace reste ouvert.

Un autre concerne le siège – ou cathèdre – qui a été taillé dans la roche et sur lequel a pu s’asseoir l’évêque lors des cérémonies.  N’en connaissant pas de semblable, Jean-Louis Hillairet explique que, habituellement dans les cathédrales, ces sièges sont en bois et d’époque plus récente. C’est en s’asseyant sur ce promontoire que l’archéologue réalise qu’il s’agissait d’un siège avec des accoudoirs. La lettre M gravée dans la pierre pourrait faire référence à Martial de Limoges, premier évêque de cette ville au IIIe siècle, sous le patronage duquel l’église de Douhet est placée.

Jean-Louis Hillairet signale aussi la présence, sur ce bloc, d’une croix entouré d’un carré aux bords arrondis qui symbolise la terre et le soleil. Recouverte de mousse, la gravure manque de lisibilité. Comme nous l’avons fait pour la gravure d’un poisson, nous la surlignons, sans être totalement assurée de la justesse de ce geste.

Sur le site internet de Jean-Louis Hillairet, on peut lire les explications de l’archéologue et consulter un film pédagogique de 8 minutes, réalisé par La CollegiaLa mousse qui a élu domicile sur la pierre empêche d’y retrouver toutes les gravures indiquées par l’archéologue ; ce qui n’enlève rien à l’intérêt de la visite.

Depuis sa découverte, le lieu a fait l’objet d’un article dans la presse, d’une vidéo sur YouTube, d’articles sur des blogs, d’annonces sur les sites régionaux. Le lieu attire des passionnés d’Histoire et/ou des personnes qui recherchent des visites hors des sentiers battus. De ce point de vue, aucune inquiétude ! La visite de ce lieu tient largement ses promesses.

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