L’Hôpital des pèlerins à Pons (17)

Située en Charente Maritime, la ville de Pons domine la Vallée de la Seugne, un affluent de la Charente. Bordé de bois et de marais, le site fut, dès la période de l’occupation romaine (à partir de 52 avant J.-C.), pourvu de ponts qui permettaient de le franchir et qui lui ont donné son nom.

Ville étape de la Via Turonensis (route de Tours) du chemin de Compostelle, Pons voit défiler, depuis le Moyen-Âge, un afflux de pèlerins que ne pouvaient satisfaire les services apportés par son ancien hôpital (Saint-Nicolas), situé dans la Ville haute, et dont il ne reste aujourd’hui aucun vestige. C’est pour cette raison qu’au XIIe siècle, Geoffroy III, seigneur de Pons, fit en sorte que soit construit un lieu d’accueil permettant aux pèlerins de se reposer et de panser leurs maux et blessures, à toute heure du jour et de la nuit. Situé à un kilomètre de Pons, dans sa partie basse, l’Hôpital des pèlerins ou Hôpital neuf n’était pas contraint par les horaires d’ouverture et de fermeture de la place forte.

La bâtisse étant l’une des plus anciennes d’Europe encore conservée, elle est distinguée par plusieurs reconnaissances patrimoniales (Monuments historiques en 1879 ; Unesco en 1997 et 1998 selon les parties concernées). Elle comporte une salle des malades (prolongée depuis 2003 par un jardin médicinal), et de l’autre côté, d’un beau passage voûté, de l’église Notre Dame, aujourd’hui en ruines mais dont il reste l’entrée romane.

Porte Est

Porte Ouest

C’est d’ailleurs à ce passé que la ville rend hommage, dans un rond-point situé à proximité de l’hôpital et mettant en scène le voyage de pèlerins.

Une belle voûte et un lieu d’accueil

Pendant plusieurs siècles, l’Hôpital des pèlerins a aidé d’innombrables voyageurs et Compagnons du Tour de France qui ont inscrit sur les murs des messages à portée symbolique, fonctionnelle ou identitaire. Beaucoup ont été gravés sur les murs d’une voûte d’ogives, à l’abri duquel on distribuait du pain béni et du vin, mais où l’on pouvait aussi accueillir des enfants abandonnés, ces derniers pouvant être déposés dans des niches prévues à cet effet.

Cette voûte « fut construite au milieu du berceau qui couvre le passage routier de l’Hôpital neuf de Pons » (Yves Blomme, L’architecture gothique en Saintonge et en Aunis, Saint-Jean d’Angely, Éd. Bordessoules, 1987, p. 32). René Crozer en donne lui aussi une description dans L’Art roman en Saintonge (Paris, A. J. Picard, 1971, p. 112) : « Un beau passage voûté partiellement en berceau, partiellement sur croisées d’ogives couvre la route. Deux luxueuses portes romanes menaient, sur le côté ouest au bâtiment hospitalier et, sur le côté est, à la chapelle. Le premier est défiguré, le seconde, détruite. La chapelle est dite capella nova dans un texte des environs de 1180. Ces portes sont accompagnées d’arcatures aveugles qui ont abrité des sépultures. De nombreux graffiti en forme de croix de Compostelle, de fers à cheval ou d’outils du bâtiment contribuent à rendre cet édifice particulièrement expressif ».

Justement, lors d’une exposition qui s’est tenue à Pons en 2016 (du 16/08/2016 au 18/09/2016) – « Les graffitis jacquaires et compagnonniques de l’Hôpital neuf de Pons » , 150 moulages de graffitis furent présentés au public en ce lieu. Non seulement, les chercheurs du Graht (Groupe de recherches archéologiques et historiques) attestaient ainsi de la diversité et de l’intérêt historique des productions, mais ils relataient également la pluralité des sens les concernant. Car si certaines étaient à visée testimoniale, d’autres communiquaient des messages aux contemporains pour indiquer par exemple en quels lieux il était possible de trouver le gite, le couvert ou le réconfort.

Dans un article du site Nicole Bertin Infos, on peut en lire un descriptif (Nicole Bertin Infos: Compagnons et pèlerins : Les mystérieux graffiti de l’Hôpital Neuf de Pons): « Les un[e]s s’adressent aux croyants : pèlerins, coquilles, bourdons, crosse d’évêque, besaces, pas de pèlerins, fers à cheval, montjoies, croix ; les autres aux compagnons : cayenne (lieu de réunion), cannes de compagnons, blasons de magisters, outils, fer à cheval compagnonnique, Maître Jacques, Père Soubise, Salomon, fondateurs du compagnonnage ; enfin certain[e]s sont génér[ales] : graffiti de la citadelle de Pons et ses remparts, navires de guerre et bateaux marchands, ancres, pendule solaire, calvaire ». Dans les photographies ci-dessous, figurent quelques-uns des exemples que l’on découvre sur les parois : symboles religieux, professionnels, familiaux, ils racontent un peu de l’identité de ceux et de celles qui ont fréquenté cet hôpital.

Blason
Collier de cheval
Canne
Marque de compagnon serrurier ?
Canne
Clé
"Mandrin le moisne du de (?)"
Croix
Ensemble de croix
Fleur de lys
Poisson au bout d'une ligne
Marteau

Les fers à cheval

Par leur nombre et la précision de leur tracé, les gravures les plus frappantes de ce site se présentent sous la forme de fers à cheval au centre desquelles figurent une croix, une lettre, un mot… Symbole jacquaire, selon Tatiana Rozhdestvenskaya, Alexandre Gordine et Piotr Zykov, ces gravures feraient référence aux empreintes des fers du cheval de Saint Jacques qui, selon la légende, aurait prêté main forte à Ramire 1er (face à l’armée d’Abd al-Rahman II) sur le champ de bataille de Clavijo (844). La victoire qui s’ensuivit prenait ainsi place dans un mouvement de Reconquista qui signifie la victoire de la chrétienté dans l’ensemble de la péninsule ibérique. Selon une autre interprétation, elles pourraient représenter la voûte céleste entourant la croix du Christ. Pour cette dernière, une légende est également invoquée : elle se réfère au tombeau de Saint-Jacques dont l’emplacement aurait été découvert au IXe siècle par l’ermite Pelagos grâce à une pluie d’étoiles qui a donné son nom à Compostelle (champ d’étoiles).

Dans un article publié en 2018 par Tatiana Rozhdestvenskaya, Alexandre Gordine et Piotr Zykov (« Les graffitis des pèlerins slaves en France XIIe-XVIIe siècles », Revue des études slaves, LXXXIX-3, p. 281-302), il est question de l’un des fers à cheval gravé sur le contrefort sud-ouest du passage voûté de l’Hôpital. Les éléments que livrent les auteurs sont tout à fait intéressants. Conduisant une recherche sur les pèlerins slaves, les auteurs identifient et mettent en corrélation des traces de leur passage en différents sites, dont deux à Pons, l’une qui pourrait dater de 1160-1180 et qui figure sur l’Église Saint-Vivien, l’autre gravée sur un mur de l’Hôpital et qui pourrait dater du XVIe siècle.

La première est rédigée sur quatre lignes que restituent et traduisent les auteurs :

  1. Ивано ѱ҃ло Ӡав(и)
  2. довичє ида
  3. свѧтомѹИѧ
  4. ковoy

Traduction : Ivan a écrit, fils de Zavid, en allant vers saint Jacques.

Ce sont à la fois les types de lettres et graphies utilisées, mais aussi le prénom ainsi que le dessin accompagnant les phrases qui permettent aux chercheurs de dater l’ensemble. Pour les auteurs, le passage de Ivan Zavidovič à Pons est à relier au fait que la ville dispose d’un grand hôpital de pèlerins, d’ailleurs situé à proximité de l’Église Saint-Vivien. Ainsi, en examinant les gravures de l’hôpital, les chercheurs ont repéré une gravure en forme de fer à cheval comportant un prénom à l’intérieur : Габо(р)ъ. Ces derniers précisent : « La lettre ъ, déterminante pour une lecture cyrillique se devine à peine sur le quartier du fer, mais il est difficile de la prendre pour un simple jeu du relief : la surface de la pierre ne présente nulle part ailleurs de formes illusoires semblables, sans parler de la longueur du crochet de la lettre, caractéristique justement pour une date tardive. Le г étroit, le а en miroir, le о (?) large et la panse arrondie du б, correspondent tout aussi bien à la datation du xvie ou du xviie siècle ». Gabor étant la forme hongroise de Gabriel, « Il n’est pas impossible qu’un Ruthène de la Transcarpatie hongroise s’appelle ainsi ».

Pour les chercheurs, l’identification de ces deux graffitis, éloignés dans le temps, confirme la présence de voyageurs venant de la Russie ancienne pour s’engager dans les pèlerinages occidentaux et met à mal l’idée que les contacts entre le monde latin et l’orthodoxie russe seraient surtout centrés sur « la pénétration en Russie des missionnaires occidentaux ».

Cet exemple atteste de l’intérêt à collecter des données sur la circulation de populations dans le temps et dans l’espace. Corrélées à l’histoire des lieux et des édifices, elles permettent de dessiner une frise temporelle dont certains pans peuvent ouvrir des pistes insuffisamment explorées, comme on a pu le voir dans le cas précédent. Quoi qu’il en soit, l’émotion ne peut qu’être au rendez-vous quand un observateur, chercheur ou non, débusque ainsi, au milieu de nombreuses autres traces, celle d’un sujet dont la présence bouleverse des idées reçues ou conforte des hypothèses demandant confirmation.

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