Street art dans l’église Sainte-Madeleine de Châtelaillon

 

Châtelaillon-Plage a le charme de ces stations balnéaires (voir dans ce blog les pages réservées à La Tremblade et Ronce-les-Bains) créées au XIXe siècle, à une époque où le corps médical recommandait l’air marin et les bains de mer. C’est d’ailleurs pour faciliter l’acheminement des visiteurs qu’une gare y fut créée en 1873. La ligne de chemin de fer qui passe par la commune fait ainsi se rejoindre La Rochelle à Rochefort. Pour cela, elle longe la côte d’où l’on peut apercevoir les Îles d’Aix et d’Oléron.
 
C’est donc cet intérêt pour les bains de mer – qu’a grandement amplifié le transport ferroviaire – qui contribua à l’essor touristique de la ville dont atteste, au fil des décennies, l’évolution du nombre d’habitants : en 1801, la bourgade comptait 150 habitants ; aujourd’hui, elle en compte 5 871 (chiffre

de 2018). De fait, en grandissant, la commune a dû se doter d’infrastructures
pour accueillir des résidents de passage ou des permanents, dont une église,
l’église Sainte-Madeleine. Témoin de l’évolution des comportements sociaux, cette dernière est traversée de part en part par l’histoire du tourisme balnéaire, ceci depuis l’achat de la parcelle sur laquelle elle a été érigée jusqu’à sa rénovation en 2020.

La commune de Châtelaillon-Plage est située en Charente-Maritime, sur le littoral atlantique, à 12 kilomètres de La Rochelle et à 18 kilomètres de Rochefort. Sur une page de wikipedia, on peut lire à son sujet une synthèse des appellations qui ont précédé la dernière en usage : « La commune s’est appelée Chatel Aillon à sa création en 1793, puis Chatelaillon en 1801, puis Châtelaillon (date non précisée). Elle a été réunie à Angoulins en 1823, puis s’en est séparée en 1896. Elle s’appelle Châtelaillon-Plage depuis 1928 ».

Le succès de Châtelaillon-Plage

Châtelaillon-Plage possède d’élégantes villas qui datent de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Leurs noms sentent bon les embruns, les fleurs, les jeux de mots ou d’amours. Elles siègent sur le front de mer ainsi que dans les rues adjacentes. Les couleurs vives des boiseries de certaines s’accordent avec les tons clairs des façades en un style qui se marie plaisamment aux constructions plus récentes. Parmi celles-ci, on peut voir la Villa « Sans-nom » dont l’appellation intrigue. Une hypothèse figure dans des blogs ou supports touristiques : dans cette commune, comme il était de tradition de donner à sa villa le nom du premier enfant, le fait de ne pas en avoir donné pourrait venir du fait que la famille n’a pas eu d’enfant ou que le premier enfant est décédé à la naissance.

Entre autres infrastructures consacrées au tourisme, un casino a été ouvert en 1893 tandis qu’un hippodrome l’a été en 1928.

Dans un autre registre mais pour des raisons similaires, l’église Sainte-Madeleine a été construite en 1882, en même temps que l’étaient les Halles couvertes du marché.

C’est un avocat bordelais qui est à l’initiative de ces deux projets. Dans Petite histoire de Châtelaillon, Éric Birrier (1996) précise : « En 1882 débuta une seconde phase [d’aménagement de Châtelaillon] sous l’impulsion d’un avocat spéculateur de Barbezieux, Gabriel Fauconnier qui fit lotir 80 lots de 300m2 séparés par un boulevard, bâtir une chapelle et des halles couvertes. Alcide d’Orbigny, qui possédait une villa, prit la tête d’un groupe de pression qui obtint d’Angoulins [la vile dont dépendait à l’époque Châtelaillon] la construction d’une école, d’un bureau de poste, d’une nouvelle gare et, en 1893, d’un casino ».

Consacrée en 1883 par l’Évêque de la Rochelle, Monseigneur Thomas, l’église Sainte-Madeleine n’est alors composée que d’une allée centrale. À l’époque, la commune est de taille modeste et n’attire pas encore des foules de visiteurs. Érigée dans les parcelles acquises par Gabriel Fauconnier, elle fait face à la mer ; ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, des constructions ultérieures la séparant désormais du front de mer. L’église fut donc agrandie au fur et à mesure de la croissance de la ville, chaque ajout témoignant du succès de Châtelaillon-Plage (voir le panneau à l’entrée de l’église intitulé « Une église moderne… bâtie selon la tradition »).

Le Street art entre à l’église !

Le dimanche 4 octobre 2020, « Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, monseigneur Colomb, évêque du diocèse de La Rochelle, Stéphane Villain, maire de Châtelaillon-Plage et Jean-Louis Léonard, ancien maire de la station balnéaire et initiateur de la rénovation de l’église Sainte-Madeleine accueillaient le public nombreux devant le porche de l’édifice » (Sud-Ouest, 7/10/20). Ainsi était présentée au public la rénovation du lieu ainsi qu’un travail artistique tout à fait singulier que l’ancien maire, Jean-Louis Léonard, qualifiait comme ayant été son dernier acte dont il souhaitait qu’il suscite « un élan qui appelle à la méditation, une parenthèse temporelle ». À l’entrée de l’église, sur le panneau « Genèse de la rénovation 2020 », il est indiqué qu’en 2019, Jean-Louis Léonard avait proposé au Conseil municipal de rénover entièrement l’église, « et même d’en faire un lieu symbole de l’attractivité de Châtelaillon-Plage ».

S’il est évidemment impossible de savoir si l’église rénovée appelle à la méditation, ce qui est certain c’est qu’elle attire un public important et très divers, forcément séduit par la démarche artistique qu’on y découvre dés l’entrée. En effet, un artiste lillois du Street art, Amaury Dubois, a repeint l’église aux couleurs et tonalités de la modernité tout en honorant la charte qui lui était imposée : respecter la spiritualité du lieu en même temps que l’identité colorée de la station balnéaire. Ce projet étonne et séduit tout à la fois. En témoigne une couverture presse impressionnante qui confirme l’intérêt pour le sujet de la presse écrite et audiovisuelle, régionale (dont France 3, Charente Libre, Le Dauphiné libéré, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Sud-Ouest, Le Progrès de Lyon, l’Est Républicain…), nationale (dont M6, Le Figaro…) et internationale (par exemple au Brésil, en Chine, aux États-Unis, en Espagne, en Italie, en Pologne, en Ukraine…).

Une très belle œuvre d’Amaury Dubois

Sur une surface de 600 m2, Amaury Dubois a décliné cinq nuances de bleu, en partant de la plus foncée depuis l’entrée de l’église à la plus claire et lumineuse sur la voute au-dessus de l’autel. Des nuées blanches et des volutes de différentes couleurs représentant des écailles de poissons (un symbole majeur du christianisme) répondent aux très beaux vitraux, eux-mêmes hauts en couleurs (deux d’entre eux sont l’œuvre du peintre verrier bordelais Gustave Pierre Dagrant, dix autres de l’atelier Gouffault à Orléans).

Dans une vidéo du site Amaury Dubois Gallery, on peut voir la progression du travail de l’artiste dont le style ne paraît aucunement dépareillé en ce lieu. Bien au contraire ! L’univers de ses peintures et photographies associant des courbes et couleurs franches donne du mouvement à ses compositions. Une dynamique qui confère à l’espace religieux une modernité tout à fait bienvenue.

Le Street art dans d’autres églises ?

Les quelques églises investies par le Street art montrent combien le mariage entre les styles et les époques peut s’avérer une réussite sur le plan esthétique. Oduka San Miguel a par exemple peint en 2015 une église abandonnée qui datait de 1912, l’église San Barbara à Llanera, dans le nord de l’Espagne. Contrairement à l’église Sainte-Madeleine dont la vocation religieuse perdure, l’église San Barbara a été transformée en piste de skate, permettant ainsi à l’édifice de ne pas disparaître. Dans ce lieu comme ailleurs, le mélange entre les styles est du plus bel effet, la sobriété de la construction étant renforcée par les couleurs et formes psychédéliques utilisées par l’artiste (https://urbanattitude.fr/espagne-la-seconde-vie-de-leglise-sante-barbara-kaos-temple).

kaos temple skate espagne église

Même remarque pour la façade d’une église abandonnée au Maroc repeinte par Oduka en 2016 (https://maison-monde.com/eglise-abandonnee-transformee-graffitis-colores-maroc/).

église abandonnée colorée 1

Ou pour celle de Denver avec l’église du Cannabis (https://www.designboom.com/art/okuda-san-miguel-international-church-of-cannabis-in-denver-04-25-2017/), peinte par l’artiste en 2017.

okuda-san-miguel-church-of-cannabis-denver-designboom-02

Pour chacune de ces expériences, la réhabilitation permet ou bien de préserver un lieu en le détournant de sa fonction première mais en lui « sauvant la vie », ou bien elle permet de redonner du souffle au lieu en attirant un public inhabituel mais néanmoins captif.

À Châtelaillon-Plage comme ailleurs, si l’association entre le sacré et le profane peut choquer ceux qui y voient un dévoiement de la mission première des lieux de culte, elle attire de nombreux visiteurs qu’elle invite à franchir le seuil des églises.

Quelles que soient les raisons de ces choix artistiques, un mouvement est à l’oeuvre. Il consiste en la légitimation artistique et sociale du Street art, cet art né dans la rue en opposition aux canons artistiques dominants à qui, désormais, on rend hommage dans des lieux « officiels ».

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