Les graffitis de l’église St-Martial du Douhet (17)

Le Douhet est connu pour son château du XVIIIe siècle et pour ses vestiges gallo-romains, dont un aqueduc du IIe ou du IIIe siècle. Il l’est peut-être moins pour son église qui ne manque pourtant ni de charme ni de surprises. Dans ce même village, on peut voir aussi le baptistère du IIIsiècle, découvert en 2011, et qui fait l’objet d’un article dans ce blog. 

L’église St-Martial présente une façade de style roman saintongeais ; elle est classée au titre des monuments historiques depuis 1915. Érigée au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle, elle a connu plusieurs aménagements lors des siècles qui ont suivi, tels les contreforts à sa droite et le clocher au XVe siècle.

Encadré de deux baies aveugles, le portail est habillé de colonnes à chapiteaux ornés, et de voussures de plein cintre (voire la description très précise qu’en donne Sophie Goillot dans L’Église romane St-Martial de Le Douhet, 2018).

Des peintures étonnantes

À l’intérieur comme à l’extérieur de l’église, beaucoup d’éléments du bestiaire et des motifs floraux ou religieux sont représentatifs des inspirations habituelles en Saintonge et au-delà. D’autres en revanche, eux aussi décrits par Sophie Goillot, sont inhabituels dans un édifice de ce type, dans la région tout au moins. Ainsi l’ensemble contribue-t-il à faire de cette église un espace empreint de simplicité et de distinction. Une qualité confortée par les peintures murales des XIIIe et XVe siècles, découvertes à l’occasion de travaux. La plus ancienne est peinte dans une alcôve à proximité du chœur : une femme en prière est agenouillée tandis qu’un homme d’église se tient debout, à sa gauche.

Dans le chœur, une fresque plus récente représente le martyr de saint André et l’ermite saint Antoine Le Grand dans une scène anachronique du point de vue de la chronologie, comme le signale Sophie Goillot. André de Crète est mort après deux jours de crucifixion en 766 ou 767 et l’ermite serait mort à l’âge de 105 ans en 356…

Hormis ces peintures, des tableaux de belle facture et une litre funéraire noire ornent l’espace… 

 

Au centre de la voute du choeur, on peut observer une gloire en grisaille ornée d’un nuage et d’angelots. Un triangle symbolise la trinité et les rayons du soleil la puissance et la gloire divines. 

Les graffitis de la façade

Hormis cette riche iconographie, on remarque sur la façade de l’église ainsi que sur les colonnes d’un « préau » lui faisant face des graffitis tout à fait intéressants. Si la plupart de ceux qui ont été dessinés sur la façade sont similaires à ceux que l’on trouve sur les autres édifices religieux, ils ne comportent, en revanche, que peu de noms et de dates. D’ailleurs, les inscriptions de cette nature qui ont été tracées sont quasiment illisibles.

Au premier rang des inscriptions encore visibles, figurent des croix, un fer à cheval et des blasons qui témoignent de la fréquentation de l’église St-Martial par les pèlerins du chemin de Compostelle. De formes et formats divers, elles attestent d’une fréquentation dense et variée. 

Ensemble de croix et blasons
Composition
Fer à cheval

Les signes géométriques – dont les jeux de compas formant des rouelles – sont une autre catégorie de gravures. La plupart du temps, elles sont en lien avec le travail de la pierre, qu’il s’agisse de marquer la surface d’une empreinte personnelle ou de s’exercer. Cercles, lignes, outils, étoiles sont quelques-unes des traces laissées sur les parois.

Stries verticales
Rouelles
Marque de tâcheron ?
Marque de tâcheron ?
Etoile
Cadran solaire
Outil affuté

Un bateau se devine ; un nom est gravé sur sa longueur. Il est mentionné par Jean-Yves Hugoniot qui, dans un article de la Société d’archéologie et d’histoire de la Charente-Maritime (bulletin 27, 2000) explique que, même à distance des zones maritimes – ce qui est le cas au Douhet –, des navires – particulièrement de haute mer – sont dessinés sur différentes surfaces. Selon l’historien : « La culture maritime ou fluviale est de toute façon très ancrée chez les scripteurs d’Aunis et de Saintonge, car rares sont les édifices à graffiti même un peu éloignés du fleuve, de l’estuaire ou de l’océan qui ne présentent pas ce thème de figuration ».

Enfin, si les représentations humaines sont fréquentes dans les édifices religieux, il est exceptionnel qu’elles revêtent une dimension sexualisée. Celle qui figure sur le portail de l’église St-Martial est d’autant plus intéressante qu’elle est rare. Deux femmes nues sont représentées de face et debout, les traits de l’une étant beaucoup plus nette que ceux de l’autre. Elles sont disposées de chaque côté du portail. Leurs seins sont soulignés et leur nudité ne fait aucun doute. Selon Sophie Goillot, la femme dont le portrait est le mieux conservé serait en train d’uriner. C’est probable et d’ailleurs suggéré par un croquis réalisé par Jean-Yves Hugoniot dans le bulletin déjà cité de Société d’archéologie et d’histoire de la Charente-Maritime (Planche 15, p. 49). Quoi qu’il en soit, la femme se tient droite, jambes écartées, dans une position dont on peut penser, même à distance, qu’elle a été voulue pour provoquer ou amuser, d’autant que, dessinée sur la façade de l’église, elle est visible de toutes et tous.

A droite du portail
A gauche du portail

Sous le préau...

En face de l’église, sur sa gauche, un préau sous lequel il est possible de ranger des vélos a été construit. Des pierres de taille, une colonne de style gallo-romain et un toit d’ardoises le composent. 

Le préau à gauche de l'église
Vue sur l'église depuis le préau

De toute évidence, la construction a bénéficié de matériaux utilisés ailleurs. Devant l’église par exemple ? En effet, un dessin de Louis-Benjamin Auguin, reproduit en page 11 du livre de Sophie Goillot et qui provient de La Saintonge pittoresque publiée en 1942, montre un préau identique à celui actuel mais construit à l’avant de la façade de l’église. Avant de pénétrer par le portail, les fidèles empruntaient donc cette construction. 

Toujours est-il que les blocs de pierre du préau actuel comportent des graffitis d’une nature différente de ceux du portail et ils sont plus récents. Les dates inscrites vont de la fin du XIXe siècle au début du siècle suivant. La première date est 1892 ; elle accompagne le nom Salmont suivi de « soldat ??? 6e??? ».

Ailleurs, un bloc porte une précision, « classe 1921 », et un prénom, Paul. L’homme est donc né en 1901 et il a gravé son prénom et sa qualité de conscrit en 1921, à l’âge de 20 ans, un moment important dans sa vie de jeune adulte, ce dont témoigne le fait même de l’avoir gravé.

Une stèle est également posée sur le sol : un nom de famille (RETAILLEAUD), une date de décès (7 mars 1881) et un âge (71 ans) sont gravés. La présence de cette pierre confirme la réutilisation de matériaux dans cet espace.

Ailleurs, ce sont des prénoms, initiales, dates ou cœurs qui forment un ensemble de messages conformes à ce que l’on peut lire ailleurs et qui racontent des fragments et circonstances particulières de parcours de vie et d’interactions sociales…

B. Boutin
Ensemble de lettres
Initiales
Jean
Lettres entrelacées

Parmi ces interactions, celles amoureuses occupent une place essentielle dans les témoignages déposés notamment sur des surfaces de bâtiments ou de mobiliers publics… A ce sujet, le soin apporté aux deux premières gravures  atteste de l’importance du sentiment amoureux à ce moment-là de la vie du sujet (ou des sujets) qui a pris le temps de déclarer sa flamme.

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